PartiCitaE: associer la société civile à la recherche
Laure Turcati dirige le projet PartiCitaE au sein de l’Université Paris Sorbonne. PartiCitaE est un observatoire scientifique, ce qui en fait un outil de recherche à part entière mais c’est aussi un dispositif participatif qui assure la prise en compte des besoins sociétaux dans la recherche sur l’environnement.
Mesure de la qualité de l’air, observation de la nature en ville (lichens) figurent parmi les thèmes proposés par les chercheurs qui poussent assez loin la notion de participation des citoyens : ils sont ainsi invités à construire le protocole de collecte des données et les outils permettant cette collecte.
Cette participation ne va pas nécessairement de soi, souligne Laure Turcati : certains participants estiment ainsi que c’est plutôt le rôle du scientifique de construire le protocole ! C’est aussi un pari : si les participants sont impliqués très tôt, on peut espérer que leur engagement sera plus durable et que la collecte des données sera de meilleure qualité.
PartiCitaE met aussi à disposition librement et gratuitement Hypopothèse, un jeu de plateau permettant à chacun (à partir de l’âge de 7 ans) d’imaginer et de construire un protocole scientifique.
Natural Solutions: accompagner les projets de sciences participatives
Olivier Rovellotti dirige la société Natural Solutions, prestataire de services. Il conçoit et développe des outils numériques permettant la collecte de données, en particulier dans le domaine de la biodiversité. Selon lui, la principale difficulté des projets de sciences participatives tient justement à l’alignement entre le protocole et le public cible. Il fait le parallèle entre le capteur « humain » et le capteur « électronique » : chaque capteur possède des capacités propres, par exemple en matière de finesse ou de précision de la mesure. Certains projets reposent sur des observateurs peu nombreux mais très avertis, par exemple les membres de la LPO (ligue de protection des oiseaux) qui sont capables de distinguer de très nombreuses espèces.
À l’inverse, d’autres projets peuvent mobiliser un grand nombre de participants profanes mais auxquels on demandera des observations plus simples, à l’image du projet BioLit d’observation du littoral (ci-contre) . Olivier Rovellotti insiste alors sur la dimension de jeu et de plaisir, qu’il faut toujours garder à l’esprit quand on veut mobiliser les participants.
La Phonotèque: valoriser les archives sonores
Véronique Ginouvès dirige la Phonotèque de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme. La Phonotèque recueille les archives sonores déposées par des chercheurs. Elle réunit les enregistrements du patrimoine sonore qui ont valeur d’information ethnologique, linguistique, historique, musicologique ou littéraire sur l’aire Méditerranéenne. Un important travail d’éditorialisation est réalisée par Véronique Ginouvès et ses collègues. Ainsi, chaque dernier lundi du mois ils font découvrir des recettes de cuisine enregistrées et révélées par les informateurs sur le terrain. Le grand public est aussi mobilisé, par exemple lors d’une opération d’Edit-a-thon dans le cadre du programme européen Europeana Sounds.
Parfois, la réutilisation des archives prend une tournure inattendue : certaines chansons ont ainsi été ré-enregistrées dans une autre langue, contribuant ainsi à enrichir le fonds. La Phonotèque s’appuie aussi sur des communautés thématiques. Plusieurs documents sonores concernent le métier de luthier et son évolution, ils sont aujourd’hui largement relayés et enrichis dans cette communauté professionnelle active en ligne et hors-ligne.
Analyser les dynamiques des projets … et leurs limites
Matthieu Noucher est géographe, chercheur au laboratoire Passages du CNRS. Dans le cadre du projet de recherche InGéoVoM il s’est attaché avec ses collègues à analyser les projets de sciences participatives et citoyennes liés à la compréhension et la gestion de la biodiversité côtière et marine. Il s’est notamment intéressé à la circulation de l’information géographique volontaire: comment circule la donnée collectée, qui l’utilise — ou ne l’utilise pas ? Car Matthieu Noucher évoque aussi le non-usage de la donnée.
Certains chercheurs ou institutions se refusent ainsi à utiliser la donnée issue des sciences participatives et citoyennes. Ils remettent notamment en cause l’objectivité des participants, qui sont pour certains des militants engagés dans la protection de l’environnement. D’autres chercheurs refusent aussi de confier à des tiers bénévoles des tâches de collecte dont ils estiment qu’elles devraient être financées par la recherche publique. À l’inverse, le manque de retour vers les contributeurs est un facteur de démotivation très fort. Les contributeurs amateurs souhaitent savoir comment (et pourquoi) sont utilisées les données qu’ils ont aidé à collecter.
Les sciences participatives et citoyennes semblent ainsi répondre à des objectifs multiples : collecter des données mais aussi sensibiliser à une question ou un problème (par exemple la protection de l’environnement). Ce faisant, elles aident à diffuser plus largement une culture de la donnée, dans une approche concrète, “les mains dans le cambouis”.[:]