Le 5 juillet dernier, la France a accueilli à Paris le « Digital colloque », Sommet franco-britannique sur le numérique. 400 participants ont discuté des grands enjeux de la coopération franco-britannique sur le numérique. Les ministres Mahjoubi et Hancock ont signé deux accords de coopération. Le premier, portant sur l’intelligence artificielle et la donnée, amplifie les coopérations existantes entre les instituts français DATAIA et britannique Alan Turing. Le deuxième, intitulé « protocole d’accord sur l’administration numérique » concerne le développement de services publics numériques, l’inclusion numérique, le soutien au développement de l’économie numérique ainsi que la circulation de la donnée et la publication sous licence libre ou open source de solutions numériques.
Des coopérations franco-britanniques sur le numérique
Ces accords sont un premier pas vers des coopérations approfondies, et donne suite au sommet Franco-britannique du 18 janvier 2018 entre le Président de la République, Emmanuel Macron et la Première-ministre britannique Theresa May, dont la déclaration conjointe avait exprimé la volonté commune des deux pays d’étendre leur coopération dans le domaine du numérique, de l’innovation, de l’intelligence artificielle, de la donnée et de l’administration numérique. Le protocole d’accord entre le Royaume-Uni et la France sur l’administration numérique entend capitaliser sur des travaux plus anciens, notamment la « task-force » franco-britannique sur l’économie de la donnée – à laquelle Etalab a participé –, l’utilisation de logiciels libres dans la sphère publique, l’ouverture des données publiques et la promotion d’un gouvernement ouvert. Le protocole d’accord mentionne quatre objectifs pour cette coopération :
- fournir de meilleurs services publics numériques, pleinement accessibles et facilitant leur utilisation par les usagers ;
- l’accompagnement de la montée en compétences numériques des citoyens ;
- la promotion de la croissance économique par la stimulation des jeunes entreprises et des PME, notamment en encourageant l’usage des nouvelles technologies, des différentes innovations et de l’intelligence artificielle dans le développement des futurs services publics ;
- l’engagement à utiliser des standards ouverts concernant l’information, les données, les algorithmes et les logiciels ainsi que le développement de solutions numériques interopérables ouvertes et librement réutilisables (ou open source).
Depuis la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, le code source de tout logiciel développé par une administration constitue un document administratif pouvant être spontanément ouvert, sauf exceptions. La Direction interministérielle du numérique et des systèmes d’information et de communication de l’Etat (DINSIC) a par ailleurs publié une politique de contribution aux logiciels libres de l’Etat, qui détaille les principes d’ouverture des codes sources, les bonnes pratiques de développement, et encourage chaque ministère à instancier sa propre politique de contribution.
Synthèse des échanges sur l’open source
Après l’ouverture du colloque par les deux ministres, où ils ont eu l’occasion de rappeler l’importance pour deux pays partageant les mêmes valeurs sur les suites à donner à la révolution numérique de travailler ensemble, 4 tables rondes et un panel ont été organisés dans la matinée. Ces différentes sessions ont porté respectivement sur l’open source, l’intelligence artificielle, la diversité et l’inclusion dans la technologie ainsi que la régulation du numérique.
Co-organisée par Etalab et modérée par Bastien Guerry, la table ronde sur la thématique open source a donné un bel exemple de la convergence de vues entre les représentants britannique et français sur le sujet. Liam Maxwell, conseiller national à la technologie du gouvernement britannique et Henri Verdier, directeur interministériel du numérique et du système d’information et de communication de l’Etat intervenaient aux côtés de Mme Amandine Le Pape, responsable des opérations de l’entreprise franco-britannique New Vector et de M. Rufus Pollock, universitaire et président de Open Knowledge international.
Liam Maxwell a débuté la session en rappelant que l’ouverture des données (open data) était au cœur de la transformation de l’administration britannique, et que les administrations aujourd’hui, n’avaient pas d’autres choix que d’utiliser des logiciels en open source. Il a précisé que contrairement à deux entreprises produisant des biens ou services similaires, deux gouvernements produisant des solutions numériques interopérables de service public ne sont pas concurrents mais ont plutôt tout intérêt à collaborer ensemble pour augmenter leurs capacités de développement et leurs retours d’expérience. Les logiciels libres permettent à deux gouvernements de travailler en bonne intelligence sur des « briques » numériques avec pour objectif un meilleur service rendu aux usagers.
M. Verdier a rappelé l’importance de penser stratégiquement l’utilisation de l’open source en termes d’Etat-plateforme. Il appartient à l’Etat de développer des alternatives publiques et ouvertes aux innovations face aux offres « propriétaires » fermées de grands opérateurs économiques du secteur numérique. Le bouton de connexion France connect, la solution de messagerie cryptée de l’Etat Tchap, ou encore la solution numérique de paiement de la Direction générale des finances publiques en sont des exemples importants. Le rôle de l’Etat étant notamment ici de permettre d’ouvrir l’innovation à de nouveaux acteurs sans qu’ils soient soumis à la permission des grandes entreprises déjà en place pour exercer leur activité.
« Au cœur de cette stratégie, l’ouverture des données, des codes sources, des solutions et le développement de biens communs numériques sont ainsi les meilleurs alliés dans la poursuite de l’intérêt général. » – Henri Verdier
Plus avant, M. Verdier a également mentionné le fait que l’ouverture des codes des solutions numériques publiques s’articule avec la politique de gouvernement ouvert menée par la France, et notamment dans le cadre de son deuxième plan d’action pour une action publique transparence et collaborative, en cela qu’elle participe à répondre à la question « pouvons-nous ouvrir la source du pouvoir comme nous ouvrons les codes sources ? »
Mme Le Pape, qui collabore avec les services de la DINSIC sur le développement de Tchap, a souligné l’extraordinaire occasion que représente le développement de solutions ouvertes et librement réutilisables dans les services publics numériques, rappelant qu’elle était heureuse d’y prendre part. Elle a également mis en avant la difficulté réelle de sensibilisation des acteurs non techniques, notamment des contribuables et des décideurs, à l’intérêt de l’open source dans la société et à la distribution du coût de développement que permettent ces solutions.
Alertant sur l’action de fermeture des marchés menée par ce qu’il appelle les « dictateurs technologiques », c’est-à-dire certains géants des industries technologiques, M. Pollock a rappelé qu’il n’existait pas réellement de modèle économique pour une pure gratuité des logiciels libres. Quelqu’un doit payer pour les importants coûts fixes de développement nécessaires à la mise en œuvre de solutions efficientes. Cette contribution ayant tout intérêt à être centralisée, avec un rôle important devant être joué par les Etats pris individuellement ou collectivement dans les différents espaces de collaboration. M. Pollock a souligné l’urgence de la situation et l’importance de passer à la vitesse supérieure. Il a notamment proposé une solution de financement centralisé de l’open source public.
Pour aller plus loin :
- communiqué conjoint franco-britannique ;
- présentation du colloque sur le site du secrétariat d’Etat chargé du numérique ;
- le script du discours de M. Matt Hancock en ouverture du colloque.